Bien sûr, dans 2046, le cadre de l’image sert aussi à délimiter ce qui est montrable de ce qui ne l’est pas. Dans les scènes d’amour, en particulier, WKW utilise cette fonction « castratrice » classique du cadre.
 
 
 
Le cadre chez WKW est essentiellement centrifuge (terme qui s’oppose à centripète) : c’est à dire que les éléments à l’intérieur du cadre semblent fuir vers l’extérieur, être régulièrement appelés par le hors champ. « Le cadre, dans le cinéma classique, a vocation a toujours contenir l’action, au besoin en se déplaçant avec elle pour la suivre. C’est là une conception centripète du cadre, qui veut que l’action va toujours vers son centre et que, si elle en sort, le cadre disparaît puisqu’il a perdu sa raison d’être. À l’opposé, une conception centrifuge du cadre, plus familière au cinéma moderne, crée une tension entre ce qui est donné à voir au spectateur et ce qui se passe ailleurs. Cette tension peut être obtenue aussi bien par l’usage d’un cadrage qui tranche violemment un corps qu’on voudrait voir entier que par un jeu d’acteur qui s’adresse ostensiblement au hors-champ ou dans le fait que l’action peut quitter le cadre pour se poursuivre hors de ses limites, sans que le vide ainsi créé impose l’abandon de ce cadre ». (Jean-Pierre Berthomé, module 1 Cian)
 
On ne compte plus en effet les moments où le personnage s’adresse à l’extérieur du cadre plutôt qu’à l’intérieur. Dans le cinéma classique (et finalement dans la plupart des films), le champ contrechamp entre deux personnages se joue de façon très stéréotypée, très codée. Si le personnage A est placé dans la partie gauche du cadre, son regard est orienté vers la partie opposée, et le personnage B, placé alors dans la partie droite du cadre, oriente son regard vers la gauche. Ainsi, même dans le cas où cette alternance se fait sans amorce (en représentant les personnages un par un, donc), ils semblent s’adresser l’un à l’autre. J’appelle « résultante imaginaire » cette image mentale que le spectateur se construit, et qui réunit les deux corps qui se font face. WKW invente ici une résultante qualifiée « d’ incorrecte » par la grammaire classique : les personnages semblent ne plus s’adresser l’un à l’autre. Lors de la dernière rencontre entre Wang (avant qu’elle ne parte au Japon pour se marier) et Chow, WKW propose d’ailleurs une représentation de ce fondu entre deux visages, par l’utilisation d’un subterfuge de décor (l’emploi de vitre/reflet).
 
Peut-on dire plus clairement qu’il est difficile, sinon, impossible, de communiquer? Que l’être humain, finalement, est condamné à préparer sa sortie du cadre?
 
Une image (parmi d’autre) dit clairement
cette impossibilité de vivre à deux. Mlle Bai est seule. Derrière la cloison, Chow est avec une femme de plus, une femme de trop.
 
 
 
WKW propose lui-même cette “résultante imaginaire”