Le caractère « labyrinthique » du film, son côté « puzzle»


L’histoire


La question du titre


Une certaine façon de considérer les corps, les temps, les lieux
L’histoire se déroule entre 1966 et 1970 à Hong Kong (dans une moindre mesure à Singapour en 63 et en 69, bien que le lieu ait une place particulière dans la diégèse, puisqu’il l’encadre quasiment). Comme la ville du futur encadre le film tout entier.
 
2046 est l’histoire d’un écrivain (Chow, incarné par Tony Leung) séducteur de femmes, qui refuse de s’installer dans une relation à long terme. Il est, d’une certaine façon, une sorte de Dom Juan moderne, aimant par-dessus tout séduire et posséder, au risque de faire souffrir. Il a des relations (variées) avec 4 personnages féminins principalement :
 
- Mlle Bai, incarnée par Zhang Ziyi (Wong Kar Wai lui consacre 1/3 du film), avec laquelle il entretient la relation la plus complète (de la séduction à la séparation, en passant par l’amour, en 66, 67 et 70 à Hong Kong).
 
- Wang Jing Wen, incarnée par Faye Wong (1/4 du film), la fille aînée du patron de l’hôtel Oriental, avec laquelle il a une relation platonique et artistique, en 66, 67 et 68 à Hong Kong.
 
- Loulou/Mimi, incarnée par Carina Lau (1/8 du film) , avec laquelle il a eu une relation passée, en 1964 à Singapour, et qu’il retrouve peu de temps avant son assassinat, en 66 à Hong Kong.
 
- Enfin Mygale (1/8 du film), joueuse professionnelle rencontrée en 1963 à Singapour. Chow vit dans le souvenir de cet amour idéal perdu, incarné (doublement) par le personnage de Mygale, alias Su Li Zhen (Gong Li, mais aussi, dans une moindre mesure Maggie Cheung).
 
La fiction romanesque est incluse dans la fiction cinématographique, le film donnant à voir et à entendre le monde de science fiction inventé par l’écrivain (ce monde du futur représente 1/4 du film). Ces fictions romanesques, elles-mêmes cinématographiées (et pas seulement racontées) entretiennent des relations complexes avec la diégèse principale : tantôt simples illustrations des romans de Chow, tantôt métaphores de sa propre expérience, ces fictions peuvent entretenir avec la trame principale des relations narratives plus complexes, allant jusqu’à l’interaction, dépassant alors les lois spatio-temporelles usuelles.
 
Sur le temps, justement : le récit s’organise par paliers (le socle du présent du héros, qui s’étale sur 5 ans, de 66 à 70, avec la récurrence de 4 soirées de Noël). Autour de ce socle, viennent s’articuler quelques souvenirs de 1963 (rencontre avec Mygale à Singapour), et des projections dans le futur, issues des fictions romanesques écrites par le héros. Mais le temps ne travaille pas seulement la trame narrative, il travaille aussi la cadence cinématographique elle-même. Comme dans ses autres films, WKW a recours aux ralentis, aux accélérés, mais aussi à d’autres manipulations plus complexes (comme le fait de filmer, dans les scènes du futur, des acteurs auxquels il a demandé de bouger lentement, pour accélérer ensuite ces plans, retrouvant un rythme et des déplacements à mi-chemin entre le réalisme et l’artifice). Enfin, le temps est un thème du film, les personnages (mais aussi la musique) faisant régulièrement référence au passé et au futur : le temps (et ce qu’il charrie de nostalgie, voire de mélancolie) est au cœur du film.
 
La voix off, nous l’avons dit, joue un rôle essentiel : c’est elle qui cimente et jointe des fragments parfois improbables. En ce sens, elle est absolument indispensable à la cohérence de l’ensemble, tout en étant parfaitement justifiée par le métier du personnage principal.
 
Dans le même ordre d’idée (mais dans une moindre mesure), le chapitrage joue aussi ce rôle structurant : les mentions écrites donnent parfois des indications temporelles utiles à la compréhension. Parfois aussi, elles rompent complètement avec cette fonction, proposant une poésie courte proche de l’haïku (tout au moins l’idée que se font les spectateurs occidentaux de cette forme courte de poésie orientale).
 
La musique, elle-même récurrente et attachée à certaines scènes, structure le film à son tour, mais de façon moins transparente. Sauf sans doute pour le morceau chanté par Nat King Cole (Christmas song) ou pour la Norma de Bellini, facilement repérables.