Le film se déroule presque exclusivement en intérieur et pendant la nuit. Quelques rares moments se déroulent en extérieur, de jour (plutôt des plans que des séquences). Parmi ceux-ci, une scène d’amour idéal (sorte d’Eden, bien qu’il s’agit-là d’une lecture d’occidental) entre Wang et son amant japonais. Aussi deux séquences d’archives (émeutes de fin 66, couvre-feu du 22 mai 67) ; et des plans de l’enseigne de l’hôtel.
 
 
 
Chez WKW, les corps sont, comme le temps lui-même et comme les lieux en général, fortement morcelés. Les images de corps entiers sont assez rares dans le film, qui fait une part belle au gros plan, voire au très gros plan.
 
 
Le fragment chez WKW peut acquérir une autonomie qui va jusqu’au détournement de sa signification initiale. Ainsi, la hanche d’une femme peut se raccorder au corps d’une autre, le visage d’un personnage à la silhouette d’un autre… Parce que le fragment est fortement lié à l’idée du souvenir incertain (« si je me souviens bien » est une phrase récurrente du film. Un plan peut donc avoir une fonction indépendante de sa signification propre.
 
 
 
 
 
 
Ces fragments acquérant ce statut d’autonomie, la récurrence devient alors un moyen d’expression : récurrence de lieux (l’enseigne), d’objets (la lampe sous la pluie), de mouvements (les cartes qu’on manipule), d’actions (téléphoner de l’hôtel), d’images (Mygale qui marche dans la nuit), de sons (le train), de musiques (Nat King Cole, ou le thème du film, écrit par Shigeru Umebayashi)… qui sont autant de réminiscences. La mémoire est donc un des sujets principaux du film : on confie d’ailleurs des secrets à des trous (pavillon futuriste, trou dans l’arbre ou dans la pierre) pour qu’ils y soient conservés.
 
 
Mais la récurrence n’est-elle pas le meilleur moyen de dire que le temps, qui se répète perpétuellement, fait du sur-place ? Etudions quelques déplacements qui n’en sont pas : le train pour 2046, par exemple, ne bouge pas vraiment. Il est un peu comme le pavillon auquel on confie ses secrets, un simple trou, tourné vers le passé, destiné au futur.  Le train, clairement, voyage dans le temps, pas dans l’espace.
 
Les personnages non plus ne bougent pas vraiment : soit ils sont dans un espace clôt (de multiples façons), soit ils parcourent les mêmes lieux, comme prisonniers.
 
 
Le regard lui-même est davantage qu’un sujet, il est l’enjeu d’un grand nombre de plans, voire de séquences entières. Le film entier est une invitation au regard, sur les femmes en particulier. C’est aussi, à contrario, la démonstration que le regard est souvent obstrué (par le souvenir, pas l’espace, très cloisonné). Mais aussi redoublé (par les miroirs, rappelant que l’image est un leurre, une représentation, pas le réél lui-même).
 
 
 
 
 
Ce faisant, la défiguration (dont le point culminant est l’image conçue pour elle-même, indépendant de tout référent réel) tient une place importante dans 2046. Nombreuses sont les images qui, par des procédés variés, représentent des corps transfigurés, déformés, étirés, comme pour remplir un format difficile à remplir, nous le constaterons. Comme si les moyens traditionnels de représentation des objets au cinéma ne suffisait pas aux visions du cinéaste.
 
Le souvenir incertain est, potentiellement, une déformation de la réalité. La défiguration est alors un moyen d’échapper à la toute puissance de la vérité historique. La film est, avant tout, un projet artistique : pour moi, c’est dans la surface que s’exprime toute la profondeur du film.  L’image est la véritable quête.
 
quelques récurrences 1'26'00 : sortie de champ 
de Chow devient Tak 37’00 : hanches de Mygale 
deviennent celles de Melle Bai 29'36" : regard Chow 
devient regard de son copain Le caractère « labyrinthique » du film, son côté « puzzle»


L’histoire


La question du titre


Une certaine façon de considérer les corps, les temps, les lieux