« Don't play with that,you'll go blind. » 41



Au sujet de ces deux add-on 42 James Cameron entretient plutôt la confusion. À la première vision du film, il n’est pas évident de distinguer l’appendice caudal du capillaire. L’avatar de Jake découvre ses pieds, puis sa queue, qu’il maîtrise d’abord difficilement. Il découvrira plus tard (le soir, au moment de se coucher) sa longue tresse, et surtout son extrémité constituée de vivantes tentacules, sortes de connexions neuronales externes, quelque chose comme un câble firewire organique.




L’unique scène d’accouplement du film 43 n’est pas très explicite non plus, et ne permettrait pas à des scientifiques soucieux d’étudier la reproduction des Na’vi d’en déterminer exactement les modalités. Premier constat (à condition d’étudier la scène au ralenti, voire images par images) : leurs queues ne sont d’aucune utilité en la circonstance (comme dans le monde animal, donc). Concernant leurs tresses, on peut avoir un doute, mais rien ne vient avérer d’une éventuelle interconnexion, alors que l’expérience semble plutôt tentante (Jake, pour le moment, n’est pas pilotable par les spectateurs que nous sommes, soyons patients). Tout juste se rapprochent-elles l’une de l’autre, au moment précis où Jake soulève sa partenaire pour la plaquer contre lui, dans une pulsion unique et plutôt sobre. La position qu’adopte ensuite le couple laisse penser que les pagnes pourraient ne pas être simplement décoratifs, et qu’ils masquent en fait des organes par ailleurs extrêmement discrets (ces pagnes se soulèvent parfois, dans les scènes de vols ou de courses, ne dévoilant qu’une surface impeccablement lisse 44). Précisons en outre qu’aucun mouvement ne rythme cette étreinte. Reste l’hypothèse d’une reproduction par contact ou connexion, mode d’interaction (avec les animaux ou la nature) privilégié par ce peuple. J’oubliais : Jake a cinq doigts à chaque main, alors que les Na’vi n’en ont que quatre… J’arrête là sur le sujet, pourtant majeur, craignant de m’égarer dans de vaines supputations psycho analytiques. Attendons le second opus du film, qui lèvera peut-être cette ambiguïté.




À moins que l’avatar de Jake ne soit vraiment un dieu, comme le titre du film lui-même le laisse entendre 45. Mais Jake est plutôt un dieu d’inspiration chrétienne, élu par Eywa. Recouvert par les graines de l’arbre sacré, il se métamorphose un instant en un corps de lumière, les bras en croix. Il n’est alors plus le démon craint par le peuple Na’vi, mais l’élu qui les sauvera. Fiat Lux !




J’ai commencé par évoquer, au début de cette courte étude, le mariage du film et du pixel. L’une des manifestations les plus spectaculaires et les plus troublantes de cette hybridation est la technique du motion capture 46 (captation de mouvement), à laquelle j’ai déjà fait allusion. Cette technique consiste à enregistrer des mouvements réels (du corps ou du visage par exemple), et de les appliquer à un objet virtuel 47. Pour le moment, cette technique nécessite un appareillage plutôt sophistiqué (des marqueurs, une combinaison et un casque associés à une caméra pour le film étudié). Certains laboratoires travaillent actuellement sur des systèmes n’impliquant ni combinaison, ni marqueurs, ni casque, libérant l’acteur de cette encombrante technologie, et lui donnant la possibilité de s’émouvoir sans contrainte. Ce qui se joue depuis quelques années 48 est à mes yeux un enjeu majeur du cinéma numérique : le corps de pixel (la marionnette) est animé (au sens premier du terme) par un corps de chair. Ecrire la lumière d’abord (la photographie), écrire le mouvement ensuite (la cinématographie), écrire l’acteur maintenant 49.  J’aime, à propos de cette technique, parler d’ « e-motion capture », ou capture de l’émotion. Gollum, grâce au travail de l’acteur Andy Serkis, restera, dans l’histoire du cinéma, le premier personnage de pixel émouvant. Neytiri est émouvante… et désirable. Nous entrons dans le temps des sex-symbols virtuels 50. Les anticipations de Philip Kindred Dick sont maintenant à portée de main 51 : notre siècle abrite de plus en plus de poupées Pat. A ceci près que l’écrivain, moins pudibond, les avaient sexuées. Il reste des territoires à conquérir.

 

41 : « Ne jouez pas avec ça, vous deviendrez sourd » lui suggère l’avatar du Docteur Grace Augustine (incarné par Sigourney Weaver). Blind  fonctionne mieux que sourd, au regard de l’hypothèse développée plus haut. (00 :18 :34)

42 : L’add-on est une extension (dans un jeu vidéo, par exemple), permettant d’obtenir de nouveaux équipements, une nouvelle apparence, de nouveaux scénarios...

43 : (1 :20 :30); la version collector du film propose de visionner la scène d’amour «non censurée» (il s’agit en fait d’auto-censure, personne n’ayant imposé à l’équipe de renoncer à ces très innocents plans...). On y voit Jake et Neytiri, en trois plans d’une durée de 22 secondes, joindre les bouts de leurs tresses.

44 : J’attends qu’un internaute, dans une volonté toute collaborative, prouve le contraire, en m’envoyant un photogramme qui m’aurait échappé. Les infographistes qui travaillent sur ces films sont assez joueurs et s’amusent parfois à laisser ici ou là quelques blagues visuelles.

45 : L’avatar désignant, dans la religion hindoue, l’une des incarnations de Vishnou.

46 : Appelée aussi Mocap.

47 : Le mot synthespian désigne l’acteur de synthèse ainsi créé ; on pourrait dire « synthacteur » en français.

48 : J’ai évoqué, il y a quelques années, le couple Andy Serkis / Gollum, à propos du second opus du Seigneur des Anneaux, de Peter Jackson, réalisé en 2002.

49 : La technique est encore balbutiante, mais lorsqu’elle sera vraiment au point, on constituera certainement des « dramathèques », des banques de données de voix, de jeux, de corps et de visages.

50 : La star virtuelle japonaise Miku Hatsune a ouvert cette voie, dès 2007.

51 : Il faut lire par exemple, à ce sujet, Le Dieu venu du Centaure, écrit en 1965.

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