Une mise au point s’impose d’emblée : Wong Kar Wai filme ce long métrage en « scope » pour la première fois dans sa carrière. Le format Cinémascope original, utilisé la première fois en 1953 par la Fox (The Robe, de Henry Koster) est d’un rapport (ou ratio, c’est à dire la largeur divisée par hauteur de l’image) de 2,55.
 
Le format Cinémascope actuel est un format panoramique, mais d’un rapport inférieur :  2,35 (moins large, donc). 
 
Filmer en scope n’est pas sans conséquence : c’est en effet un format qui s’accorde plus naturellement aux paysages qu’aux corps. Ou alors aux corps allongés. « Pour 2046 (...) J’ai tourné en scope pour la première fois. C’est une différence essentielle. Hongkong contient beaucoup de verticales. Filmer en 1,66 - mon format habituel - permet de les privilégier. Là, j’ai voulu tenter une vision horizontale. Cela donne une perspective nouvelle. Il y a peu d’espace pour les lumières, qui doivent être pensées autrement. Les personnages se situent dans un environnement qui, du coup, doit lui aussi être travaillé à part entière. » (WKW, L’Humanité du 20 oct 2004).
 
 
Dans la mesure où WKW filme peu de groupes, mais plutôt des individus et des couples, le format scope va, dans ce film, privilégier les décors, le contexte.
 
 
Rappelons enfin que ce format est le plus difficile à concilier avec les impératifs de la diffusion sur le petit écran (qui est une finalité non négligeable des films, en terme de financements, puisque ce sont les investissements des télévisions qui permettent, le plus souvent, de boucler le budget d’un long métrage). En effet, le format 2,35 :1 n’est compatible avec celui du petit écran (4/3, c’est à dire d’un ratio de 1,33 ou 16/9, c’est à dire d’un ratio de 1,77) qu’à condition d’y rajouter, en haut en bas, des bandes noires (letterbox en anglais). La plupart du temps, il faut savoir que les films en Cinemascope diffusés sur le petit écran sont partiellement recadrés, pour diminuer, voire faire disparaître ces bandes, perçues comme un « manque » par une partie des spectateurs.
 
 
 
Ceci n’est pas sans conséquence sur la manière de filmer : tout se passe comme si les chefs opérateurs travaillaient avec cette contrainte en tête, évitant au maximum de reléguer les éléments signifiants aux bords du cadre. On peut ainsi voir le dernier opus de Peter Jackson (King Kong), par exemple, en 16/9 (perdant alors plus de 25% de l’image !), sans rien perdre de l’intrigue…
 
 
Mais WKW travaille différemment le format : très souvent, il réinvente un format par le surcadrage (utilisation d’une fenêtre, d’un rideau, ou d’un paravent). En fait, dans la salle obscure (lorsque précisément les bords noirs de ses images se fondent avec le noir de la salle), WKW réinvente des formats qui, encore une fois, semblent très travaillés. Dans la mesure où, nous l’avons vu, le film représente principalement des personnages enfermés dans des espaces exigus, ces surcadrages participent de cet enfermement, en même temps qu’ils sont un rappel de la planéité de l’image : pour WKW, l’image est un objet bidimensionnel. Ce rappel incessant (et obsédant) est une spécificité du film et de l’œuvre du cinéaste.
 
 
 
 
 
WKW utilise d’autres moyens que le surcadrage par les objets : la lumière peut, directement, dessiner un cadre.
 
un art savant du cadrage : lorsque les décors deviennent de véritables “volets”
comment WKW cadre avec la lumière (making of du film)