« This is why we're here, unobtanium. Because this little gray rock sells for 20 million a kilo. That's the only reason. It's what pays for the whole party. It's what pays for your science. Comprendo?» 2



Film emblématique d’une certaine techno-béatitude, Avatar a été pour la technologie 3D un véritable Cheval de Troie (un cheval de 3D, si l’on veut). Technologie proprement invasive, la 3D semble, après quelques décennies de lancements avortés, être en mesure de s’imposer dans les salles et les salons. En ce sens, Avatar est à la 3D ce que le King Kong de Peter Jackson, cinq ans plus tôt, avait été aux écrans plats et à la technologie Blu-Ray 3. La Fox annonce un Avatar 2 pour 2014, en «3D relief». Nous le savons bien, ces énormes productions ne sont pas - seulement - des films. Elles sont aussi les formes actuelles d’un marketing musclé et de plus en plus mondialisé. Une des premières séquences 4 du film constitue d’ailleurs, à mes yeux, une sorte d’encart publicitaire : il s’agit (au second degré, mais avec un pragmatisme évident) de vanter les charmes et la vertu de la 3D et de l’hologramme.




Le monde que l’on nous promet alors (qui préfigure Pandora 5, dont les créatures seront bientôt à portée de main) flotte littéralement dans l’espace, devant ou -Cameron trouve ça moins trivial 6 - derrière l’écran. Le réalisateur et les professionnels du cinéma avec lesquels il collabore (dont évidemment les financiers) savent bien que ce monde-là vaut de l’or.  Je conçois que l’on puisse être allergique à cette propension du cinéma commercial à la promotion (par le placement de produits), ou à l’autopromotion (et pas seulement pendant les semaines précédant la sortie du film, mais de façon plus ou moins directe au coeur du film lui-même, comme on vient de le voir 7). Il n'empêche que ces films peuvent être intéressants 8 : il serait impardonnable de s’en détourner, au prétexte qu’ils sont de purs produits d’un libéralisme décomplexé. J’aime le cinéma, et je suis de près les mutations technologiques qui, bouleversant les pratiques (d’écriture, de tournage, de montage, de diffusion, de consommation), en modifient en profondeur la nature. Amateur de photographie à la fin du XIXe siècle, j’aurais sans doute aimé assister à la première projection des vues des frères Lumière, le 28 décembre 1895 dans le sous-sol du Grand Café. Je me serais certainement précipité pour entendre les premiers 9 sons du cinéma, autour de l’année 1927, comme j’aurais j’en suis sûr applaudi (et pleuré) au générique du King Kong de 1933. Il est fort probable qu’en 1954 j’aurais chaussé les lunettes polarisantes me permettant de découvrir le dernier Hitchcock 10 en relief stéréoscopique. Comme je suis, dernièrement, allé éprouver les 4h26 du dernier Raoul Ruiz 11. Sans béatitude, mais avec une grande curiosité. Avatar est selon moi à envisager - au moins-  dans cette perspective : il est un film jalon, en particulier sur le plan technologique. Il fait un usage massif des technologies numériques, et il ne cesse de célébrer d’ailleurs (à la suite de quelques autres films depuis une vingtaine d’années) le mariage du film et du pixel. Comme dans beaucoup de célébrations de ce type, il y a des moments émouvants ou joyeux, mais aussi quelques conventions assommantes. Une chose est sûre (je ne prends pas beaucoup de risque en l’affirmant) : le divorce n’est pas en vue.

 

2 : « C'est pour ça qu'on est là. L'unobtanium. Ce caillou gris vaut 20 millions le kilo. C'est la seule raison. C'est ce qui paie tout ça. C'est ce qui paie vos recherches. Compris ? ». (00 :13 :02)

3 : Au passage, c’est au moment de la sortie du film Avatar dans les salles du monde entier que la BDA (pour Blu-Ray Disc Association, consortium qui possède la licence Blu-Ray) a annoncé l’arrivée du nouveau standard Blu-Ray 3D au cours de l’année 2010. Suite à un partenariat entre la 20th Century Fox et Panasonic, la version Blu-Ray 3D du film de James Cameron est offerte aux acheteurs des téléviseurs de la gamme Viera 3D, disponibles pour Noël 2010.

4 : (00 : 11 :35’)

5 : Le film ne cesse de recycler les mythes. En ce sens-là aussi, Avatar est un film à vocation écologique.

6 : James Cameron dans Le Figaro du 12 février 2010, par exemple.

7 : J’ai, ailleurs, évoqué le cas du film 2046 de Wong Kar Wai (autre film de la techno-béatitude), et de ses accointances publicitaires avec le groupe coréen LG (http://www.analysesdesequences.com/2046)

8 : Je ne parlerai qu’à la marge du scénario de ce film, qui reprend un grand nombre de motifs communs (à commencer par le mythe du bon sauvage sauvé par le paria blanc).

9 : À moins d’avoir eu la chance de participer à cette fameuse expérience de cinéma sonore, entre 1894 et 1895, dans l’un des studios de Thomas Edison (William K.L. Dickson experimental sound).

10 : Le Meurtre était presque parfait.

11 : Rappelons que le film Les Mystères de Lisbonne n’a jamais croisé la pellicule (tourné avec la Genesis de Panavision, et diffusé via DCP ou Blu-Ray). Voir l’article du Positif n° 596 d’octobre 2010 à ce sujet.

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